L’Encyclopédie Encarta  ou le savoir de l’économie du savoir Lorne Huston, Collège Édouard-Montpetit

Depuis plusieurs années maintenant, les grandes compagnies du multimédia publient des encyclopédies sur CD-ROM. La version de Microsoft, Encarta, est régulièrement citée en exemple comme la meilleure d’entre elles. Je n’ai pas fait une étude comparative de tous les produits disponibles mais si Encarta est la meilleure, nous sommes encore très loin de disposer d’un outil didactique fiable et utile  pour les cours d’histoire.

Il faut dire que le potentiel d’une telle ressource fait rêver. Un CD-ROM peut contenir l’équivalent de plusieurs milliers de pages de texte, une iconographie somptueuse, des extraits musicaux, des lectures de poèmes, de discours historiques, sans mentionner les liens vers des sites web ou les activités multimédias plus spectaculaires comme les séquences vidéo et les visites virtuelles.

Plus encore que la quantité de ressources qu’il peut contenir, c’est le type d’exploration qu’un tel outil permet de faire qui est fascinant du point de vue pédagogique. L’informatique facilite l’exploration de liens synchroniques et thématiques entre les notices. Les astérisques du Petit Robert des noms propres (pour indiquer qu’une notice existe ailleurs) ou le thesaurus de l’Universalis ne peuvent rivaliser avec un hyperlien. Aucune encyclopédie ne permet d’identifier les écrivains du XVIIIe siècle ou les contextes dans lesquels on emploie le mot “ mécène ”. Une encyclopédie électronique favorise une lecture plus active en offrant une plus grande diversité de stratégies de recherche. Bien sûr, ces avantages ont également leurs revers. La lecture sur l’écran est difficile. On peut se perdre dans le labyrinthe des hyperliens. J’ai donc voulu explorer le potentiel pédagogique de cet outil pour un cours de civilisation occidentale et, à cette fin, j’ai acheté la version “ deluxe ” d’Encarta 1999. Franchement, je suis scandalisé.

Les “ perles ” d’Encarta

On y apprend que les guerres de religion en France ont eu lieu entre 1652-16981 , que Molière est devenu chef de sa troupe de théâtre en 18502 , que Bossuet a soutenu Louis XIV dans le conflit qui l’opposait à Innocent IV (un pape du XIIIe siècle).3  Plus grave encore, on lit que “ Durant la première moitié du XVIIIe siècle, plusieurs chefs de file des Lumières furent emprisonnés pour leurs écrits, et la plupart d'entre eux durent approuver la censure gouvernementale et les attaques de l'Église.4 ” Il faut sans doute lire éprouver mais qu’est-ce qu’un étudiant peut comprendre de tout ce fatras?

Certes, toute publication peut comporter des erreurs mais ce ne sont là que quelques exemples parmi plusieurs que j’ai compilés et je suis loin d’avoir fait une analyse exhaustive. Serons-nous tentés de publier “ les perles d’Encarta ” comme nous le faisions jadis à partir des travaux de nos étudiants?

Une programmation déficiente

La programmation informatique recèle également des failles majeures. Lorsqu’on lit la notice sur le pape du XVe siècle, Eugène IV, on apprend que le roi de France a promulgué “ la pragmatique sanction de Bourges,” qui conteste les pouvoirs du pape. Avide d’en savoir plus, on suit l’hyperlien sur la pragmatique sanction et on aboutit à un texte sur un acte décrété par un empereur autrichien du XVIIIe siècle.5 Lorsqu’on consulte la notice sur la magie (sorcellerie), on voit une image de John Dee. En consultant la légende, on apprend qu’il est un astronome, mathématicien et géographe du XIe siècle. Le personnage en question est obscur pour nous aujourd’hui mais il fut un conseiller important de la reine Élizabeth Ière au XVIe siècle et illustre bien la fascination qu’exerçait encore le savoir hermétique sur les esprits éclairés de la Renaissance. Lorsqu’on consulte la notice biographique de John Dee, il n’existe aucun lien vers son portrait.

Ce n’est pas seulement les hyperliens qui sont défectueux. Une recherche par média pour les sons du XVe siècle nous mène à Chet Baker, un jazzman des années 1950! Lorsqu’on formule une requête de recherche par mot clef avec l’expression “ Charles VII ”, on ne retrouve que deux articles dans Encarta, celui où l’on parle effectivement de Charles VII et un autre sur l’empereur autrichien Charles VII Albert. Pourtant, Charles VII est mentionné dans une foule d’autres textes : “ France (histoire) ” ; “ Eugène IV ”, “ Jeanne d’Arc ”, “ Guerre de Cent Ans ” etc… L’un des avantages les plus marqués de l’informatique, la recherche par mot clef, est complètement bousillée.

Un potentiel gaspillé

            Un tel laisser-aller sur le plan éditorial est accompagné d’une conception pédagogique douteuse. Ne parlons même pas des “ gadgets ” comme le logiciel d’accompagnement “ Organise-notes ” qui n’organise rien,  mais qui tente d’assurer que le droits d’auteurs de Microsoft soient reconnus. Drôle de stratégie pour inciter les élèves à citer leurs sources, ces derniers ayant tout intérêt à le faire, pour ne pas être pénalisés pour les erreurs de l’éditeur.

Examinons plutôt les possibilités que l’ère d’une économie du savoir est censé offrir. Les images historiques de la version “ deluxe ” sont pitoyables. Le son est produit à l’aide de synthétiseurs. Les tableaux chronologiques sont mal conçus. Lorsqu’on clique sur les événements autour de Jeanne d’Arc par exemple, on voit parmi d’autres événements de son époque, la “ Renaissance du commerce ”, l’empire des Songhaï et les gouvernements des Shogun. Rien n’indique les civilisations auxquelles ces événements appartiennent, ni l’échelle du temps dont on parle. Comment demander à un étudiant de situer Jeanne d’Arc dans son contexte historique? Évidemment, si l’on s’intéresse à Yoshinori (1429-1441)6, c’est autre chose. On n’a pas droit à un tableau chronologique. Pour une fois, les civilisations non occidentales sont privilégiées. Elles n’ont pas à subir des tableaux chronologiques mal conçus !

            Devant un tel manque de rigueur, j’ai beaucoup de difficulté à souligner les aspects positifs de ce produit. Que les milliards de dollars de Microsoft soient voués à un tel brouillon intellectuel me scandalise. Que la presse écrite l’encense me stupéfie7. Dire que cette compagnie effectue des dons mirobolants aux bibliothèques scolaires! Il y a là de sérieux motifs à inquiétudes.